Une sculpture d’un liseur devant la bibliothèque municipale de Bourg-en-Bresse.
Bourg-en-Bresse (aout 2024).

Une liseuse paumée

Lyon (France), le
I will always prefer a book I can hold in my hand, the kind that smells of paper and glue, the kind whose unfolding I control, no button or touchscreen involved, by flipping backward and forward with pages ruffling between my fingers. The physicality of it pleases me. I listen to audiobooks on solo road trips, but I always switch back to the physical book as soon as I unpack. Reading a book on paper feels slower — calmer, stiller — than encountering any digital text.

— Margaret Renkl, « My Bookshelf, Myself », The New York Times, aout 2024.

Je ne pourrais pas être plus d’accord.


Du coup, j’ai lu Moonbound sur mon Kindle Paperwhite. Robin Sloan conserve cette fantastique aptitude à créer un monde au détour d’une phrase. Prenez :

I have said the dragons are my cousins. Our shared ancestors are the language machines, which were computer programs so densely strange, their makers could never entirely explain how they worked. The language machines listened and read, translated and reformulated, deduced and decided. If you had a problem, if you could say it in words, the language machines could assign it a number, then add and subtract, multiply and divide their way into a solution. Sometimes even an invention.

— Robin Sloan, Moonbound, 2024, p. 226.

Le monde de Moonbound est le nôtre, extrapolé onze siècles après une apocalypse prométhéenne, tout est proprement chimérique, mais rien n’est complètement invraisemblable. Sauf que c’est aussi – et surtout – le monde de M. Penumbra, dont la librairie reste un lointain souvenir, et du levain sentient de Lois Clary, devenu capable de prendre la parole.

Le procédé est plus mignon qu’il n’est malin, parce qu’il gâche l’intrigue, dont les rebondissements deviennent suspects. Les castors qui gardent les marais les tourbières reviendront-ils dans un prochain épisode ? Les bribes de l’histoire des Anth ont-elles une autre fonction que de nous donner envie d’en savoir plus ? Comment la levure de Penumbra et le levain de Lois sont-ils devenus une forme de mémoire que l’on peut transplanter d’une personne à l’autre ?

Sloan conçoit ses romans comme d’autres conçoivent des séries télévisées, en semant suffisamment de petits cailloux pour espérer être rappelés pour écrire une prequel ou un spin-off. Et si, idée révolutionnaire, on écrivait des œuvres capables de tenir debout sur leurs propres mérites ?


J’aurais pu le lire sur mon Onyx Boox Palma, mais… Les innombrables articles et les multiples vidéos qui lui sont consacrés en disent moins sur le produit que sur l’état de la critique technologique. Les gens qui encensent cette liseuse au format d’un téléphone sont victimes :

  • soit de leur ignorance, c’est leur première liseuse et ils ne savent donc pas ce qu’ils ratent, alors ils se contentent de vanter les mérites supposés ou réels de l’écran de 6,13″ ;
  • soit d’un panurgisme qui confine à la faute professionnelle, ce n’est pas leur première liseuse et ils savent ce qui manque, mais il ne faut jamais critiquer les obsessions de l’algorithme.

C’est du pareil au même – ils auraient pu écrire leurs articles parsemés de liens d’affiliation et tourner leurs vidéos dénuées de la moindre information sans jamais avoir eu la liseuse en main.

Son format n’est pas désagréable, entendons-nous bien, mais ne peut pas excuser la version obsolète d’Android qui n’a pas reçu de correctifs de sécurité depuis le début de l’année, l’inconsistance du réglage automatique de la luminosité et de la teinte de l’écran, l’indigence des applications intégrées, les reflets sur la dalle, les boutons trop mous et trop durs à la fois, le revêtement salissant mal collé à l’arrière et la piètre autonomie. Cela fait un peu beaucoup, comme le prix d’ailleurs, 299 €.


In the end, maybe the crucial difference between those who read once and those who reread is an attitude toward time, or more precisely, death. The most obvious argument against rereading is, of course, that there just isn’t enough time. It makes no sense to luxuriate in Flaubert’s physiognomic details over and over again, unless you think you’re going to live forever. For those who do not reread, a book is like a little life. When it ends, it dies—or it lives on, imperfectly and embellished, in your memories. There is a sense of loss in this death, but also pleasure. Or as the French might put it, la petite mort.

– Oscar Schwartz, « Against Rereading », The Paris Review, septembre 2024.

Je ne pourrais pas être moins d’accord.