Une peinture d'une personne dont le cœur est un logo Apple.
Puteaux, mai 2009.

Ma pomme sans pomme

Paris (France), le

Tout est de la faute de Clara Luciani. Je n’ai rien contre elle, mais je n’ai jamais écouté, je n’écoute pas et je n’écouterai jamais de “variété française”. Alors quand Apple Music m’a proposé son dernier single plutôt qu’un titre vaguement inspiré par la centaine de milliers de morceaux de jazz, de blues, d’électro et de hip-hop que j’ai écoutés ces neuf dernières années, j’ai annulé mon abonnement.


Faut-il encore acheter des fichiers numériques et copier des CD ? Les services de streaming sont indéniablement plus efficaces, mais l’efficacité n’est pas toujours bénéfique au mélomane. Je n’ai jamais écouté autant de musique, mais je ne parviens plus à retenir le nom de mes artistes favoris sans m’abonner à leur infolettre ni le titre de mes albums préférés sans les acheter. Cela ne suffit pas : qu’elle provienne d’un CD ou d’un service de streaming, qu’elle sorte de mes enceintes ou de mes écouteurs, la musique numérique passe au second plan parce qu’elle ne peut pas s’imposer au premier.

Ma platine, elle, prend de la place qu’elle tourne ou pas. Sans romantisme aucun, le rituel de l’écoute d’un disque — le sortir de la pochette, ouvrir le capot de la platine, poser le disque, allumer l’amplificateur, allumer la platine, passer un coup de brosse en fibre de carbone, faire tomber le stylet, aller s’assoir, changer de face vingt minutes plus tard — est un tantinet plus mémorable qu’un clic dans une application qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Microsoft Excel.

Quelle joie d’avoir retrouvé Jan Garbarek, que je n’avais pas écouté depuis des années, après avoir piétiné pendant deux heures dans cette version d’Action à ciel ouvert qu’est devenue la grande braderie de la Croix-Rousse ! Combien de discussions ai-je eues avec le disquaire, ou d’autres fouilleurs de bacs, en tirant un disque méconnu de Pat Metheny ou de Gary Peacock ! Je n’aurais jamais eu l’idée d’écouter Stanley Turrentine, mais OCD vendait des copies neuves au tiers du prix, ni Mariko Katsuragi, mais je ne peux pas résister à l’ambiance chill de Sofa Records.


Comme Spotify n’a pas trouvé mieux que de me servir un morceau généré par “intelligence” « artificielle », je manque de guillemets pour exprimer tout mon mépris, je me suis finalement tourné vers Tidal, qui est moins gourmand que Qobuz. Je crois que le streaming est plus complémentaire du vinyle que du CD, même si les disques de polycarbonate sont nettement moins chers et permettent d’obtenir un fichier numérique en quelques clics et à peine plus de minutes. Pour ne rien gâcher, l’application Discographic me permet de gérer ma collection avec Discogs et de suivre mes lectures avec Last.fm !


Apple Music était mon dernier lien avec la suite de services d’Apple — iCloud Drive est toujours incapable d’assurer la synchronisation de fichiers textuels de 2 Ko, j’ai abandonné la photothèque iCloud au profit de Lightroom de longue date, mon agenda et mes rappels ne sont pas dans le nuage mais dans mon carnet, j’utilise Fitness+ une fois tous les 36 du mois et Arcade encore moins souvent, et puis je paye déjà pour les contenus d’Apple TV+ dans mon abonnement à Canal+. Je me demande si je ne vais pas arrêter de payer.

Apple s’est fait une spécialité de la production de séries de science-fiction, mais j’ai pratiquement arrêté d’en regarder, la réalité est plus imaginative (et plus dystopique) que la fiction. Passée à la moulinette cupertinienne, Sunny est une adaptation pétrie de clichés d’un roman étrange et étranger précisément parce qu’il ne l’est pas. Le robot à l’accent britannique menaçant devient une robote à l’accent américain jovial, la journaliste désabusée (comme je la comprends) qui enquête vaillamment sur la disparition de son mari devient une mère de famille névrosée qui se laisse porter par les évènements, la bisexuelle droguée avec du vert dans les cheveux devient un faire-valoir adulescent avec du bleu dans les cheveux, et les yakuzas… ben il n’y a pas de yakuzas dans la version originale.


Proton Drive remplace avantageusement iCloud Drive et au passage, Proton Mail remplace Infomaniak Mail (cela m’évite de mettre toute ma vie numérique dans le même data center) et Proton Pass remplace 1Password (cela m’évite de reprendre un abonnement payant après avoir bénéficié de cinq années offertes grâce à ma carte de presse). Un abonnement Apple One serait moins cher, c’est l’effet de réseau qui fonctionne à plein, mais les services rendus seraient moins bons, Apple peut se permettre de faire de la merde. Il n’est pas impossible de sortir de son enclos à chiens, mais c’est suffisamment difficile pour que l’on finisse par s’accommoder de l’odeur. Sauf que j’ai le nez sensible.