Une échelle contre une bibliothèque dans la librairie Shakespeare and Company à Paris.
Paris, avril 2010.

Emballer sa bibliothèque

Lyon (France), le

Entre deux confinements, une boite à livres est apparue dans l’entrée de l’immeuble abritant la rédaction. Ce n’est pas l’une de ces « bibliothèques participatives » où les pamphlets libertaires sont glissés entre les ouvrages de “médecine” alternative, qui permettent aux communes gauchistes de maintenir l’illusion de l’émancipation par la culture, ni l’un de ces « hôtels à livres » où les romans érotiques rivalisent avec les épopées bondieusardes de la “littérature” d’après-guerre, qui permettent aux communes droitardes de témoigner de la cruelle munificence de la bourgeoisie dégénérée.

C’est moins que ça et mieux que ça : c’était un vieux carton déposé par une voisine, remplacé par une boite à chaussures lorsque d’autres voisins l’ont fait craquer de bouquins, maintenant une boite en tissu dont l’assortiment change tous les jours ou presque. On y trouve des livres bien sûr, parfois Le Figaro Magazine que je m’empresse de glisser dans la poubelle où il aurait dû finir, souvent des CD de musique populaire et des DVD d’un gout exigeant, et puis même des objets qui n’ont jamais dépanné mais pourraient encore le faire.

Au fil des semaines, j’y ai déposé le vingtième de ma bibliothèque, en déchirant mon ex libris pour préserver l’anonymat de mes contributions. J’ai d’ailleurs arrêté de tamponner mes livres avant de les avoir lus — je me suis immédiatement débarrassé du Café suspendu, mais j’avais pris le risque d’acheter un roman d’Amanda Sthers en sachant que s’il ne me plaisait pas, il pourrait surement faire le bonheur d’un voisin. Il a trouvé preneur dans la journée.


Ma bibliothèque n’est plus une somme, le résultat poussiéreux de mes achats plus encore que de mes lectures, mais une opération, dont les termes s’additionnent et se soustraient (et, souvent, se multiplient). Apposer mon ex libris est devenu un rituel d’adoption, ne pas le faire un signe de libération. Je n’ai pas tamponné Vider les lieux parce qu’on me l’a prêté, mais je ne suis pas certain que je l’aurais fait si j’avais acheté ce petit ouvrage d’Olivier Rolin.

Expulsé de l’appartement de la rue de l’Odéon qu’il sous-loue à son éditeur (que la vie est dure !), Rollin doit emballer sa bibliothèque, ce qui m’évoque évidemment le grand déballage de Walter Benjamin. Je déballe ma bibliothèque est tourné vers le monde, Benjamin parle des collectionneurs avant de parler de sa collection, et présente ses très nombreuses lectures sous la forme d’un journal chronologique sans le moindre commentaire.

Vider les lieux est tourné vers lui-même, Rolin s’appesantit sur quelques bouquins révélant un gout fort convenu pour avoir le plaisir de se livrer à de longues digressions masturbatoires sur son œuvre insignifiant, son carnet d’adresses parisianolutécien et une certaine manière très vingtième de parcourir le monde en s’amusant des dégâts. Rolin aime s’écouter écrire et c’est pénible à lire, mais je crois que cela me rassure sur la longueur et la densité de mes phrases. On peut faire pire, voilà qui est encourageant.


Je ne suis pas certain que la suppression des applications préinstallées améliore la “sécurité” de la liseuse Boox Palma, mais cela ne peut pas faire de mal. Après tout, c’est un peu comme un désherbage appliqué au livre numérique, non ?


Le soulier de satin est resté au fond de la boite à livres, je ne suis pas surpris, mais cela me fait quand même un petit pincement au cœur. Je m’étais promis de ne jamais rien prendre en retour, mais j’ai été intrigué par V comme vegan, pour la maquette peut-être plus encore que pour le sujet.